Ses premières influences, son rapport au monde, la magie et la Suisse. Un entretien avec Maurice Mboa dans ce nouveau numéro du Debrief, une série d'interviews réalisée par Foreign Agent.
Remontons aux origines et à vos premières influences
J'ai toujours eu un imaginaire très développé. Enfant, j'avais des amis imaginaires à qui je parlais. Je voyais sur les murs de mon village de Barbah dans le centre Cameroun des personnages qui apparaissaient - je les imaginais un peu comme des créatures du futur. Ensuite, j'ai été influencé par la presse populaire et notamment les dessins de Popoli, un dessinateur camerounais ainsi que les bandes dessinées de Bleck & Rock. Je faisais aussi des portraits et des caricatures de mes camarades de classe, j'aimais explorer la frontière entre le beau et le laid pour les amuser. Une de mes premières œuvres a été un Rambo sur un tableau noir chez notre voisin qui était professeur de lycée et qui s'appelait Papa Emmanuel. Il a refusé de l'effacer de son tableau noir et il m'a encouragé à continuer.
Une inspiration de votre enfance
A la cathédrale de Yaoundé, je me posais toujours au même endroit. Il y avait une grande fresque abstraite un peu cubiste. Je priais Dieu tous les dimanches de pouvoir un jour me donner l'inspiration pour créer une œuvre encore plus monumentale.
Racontez-nous vos premiers succès
Jeune j'avais peu de moyens pour peindre. J'ai reçu du papier canson de ma tante et j'ai commencé à travailler en suivant mon cousin qui était inscrit dans une école d'art. J'ai commencé par frotter des plantes sur le papier, des visages et des personnages ont commencé à apparaître, c'était magique : des têtes, des masques, un poisson… J'ai terminé l'œuvre avec de l'acrylique. Je n'ai fait que deux oeuvres. Ma tante les a prises et les a faites encadrer. Elle a présenté ma première oeuvre au Prix du Président Byia en 2004: mon cousin artiste a été recalé, mais moi j'étais finaliste. La deuxième oeuvre, je l'ai présentée au Prix National des Beaux-Arts à l'institut de formation artistique de Mbalmayo. J'étais très intimidé, j'ai beaucoup hésité, car je n'avais pas de cv, rien du tout. Même pas de titre pour mon oeuvre. Sur un coup de tête, je l'ai appelé Masque futuriste, car il s'agissait d'une créature hybride homme-poisson. C'était un concours pour les élèves de l'école, les professeurs et les externes dont je faisais partie. J'ai eu le premier prix. C'était en 2005. Une énorme surprise. Mes deux premières oeuvres ont été remarquées au niveau national. C'est à ce moment que j'ai compris l'appel de l'art.
Vous êtes proche du monde de l'enfance
Vous êtes proche du monde de l'enfance
Je me sens proche des enfants et des gens "déséquilibrés" - je suis moi-même en équilibre précaire et je les comprends. Au Cameroun, j'ai travaillé sur un projet artistique avec de enfants de la rue. Le résultat était magnifique, car les enfants se sont donnés à fond et ont réussi à raconter leur histoire. Cela a touché tout le monde. La galerie MAM et la fondation MTN ont acheté toutes les œuvres des enfants. C'était une belle aventure.
Vous travaillez le métal
J'ai découvert le métal en 2012 grâce au travail de mon ami artiste Joel Padoh. J'ai commencé à explorer le métal avec un chinois qui travaillait dans une imprimerie. C'est lui qui m'a montré les subtilités du métal : je lui ai posé plein de questions, j'ai passé des heures chez lui. C'est lui qui m'a poussé à sortir du papier, vers les plaques, et j'ai appris avec lui à traiter et à nettoyer le métal avec des liquides chimiques. J'ai commencé à poncer, gratter, brûler, casser. En 2013, j'ai pris un tesson de bouteille et j'ai découvert l'effet du tesson sur le métal, les lumières qui sortent et qui varient ; j'avais les doigts pleins de coupures, des blessures dont j'ai encore les cicatrices. Ensuite j'ai commencé à appliquer la peinture sur le métal, j'ai appris et perfectionné les textures, à conserver la couleur de la peinture sur le support. Pour moi, le métal c'est la pierre du futur. Le métal c'est comme le support d'une vision futuriste, une projection et une lecture du monde qui n'existe pas encore.
Vous vous décrivez parfois comme étant habité
A douze ans, j'ai été pris dans un terrible accident de car. J'étais le seul survivant parmi une dizaine de morts et en suis sorti presque indemne. Suite à cet accident, j'ai commencé à voir des choses que les autres ne voient pas. Je me sens en partie dans le monde des vivants que j'habite avec mon corps et en partie dans un autre monde, celui des esprits. Je suis revenu avec un rôle et un message, même si je ne sais pas exactement lequel. C'est le message que je projette dans mon travail et sur le métal que j'insuffle avec des paroles pour purifier mes œuvres et enlever la tristesse. Il y a une dimension rituelle et magique dans ce que je fais. Ma grand-mère était guérisseuse traditionnelle et elle m'a beaucoup appris. Je suis un initié. Quand on me regarde on pense que je suis totalement contemporain, mais j'ai cette dimension traditionnelle et spirituelle qui n'est pas seulement africaine, mais globale: c'est comme ma peinture qui incorpore des codes culturels africains, élargis à l'Occident que je questionne en permanence dans mon travail sur le métissage des cultures et l'hybridation. Il y a une richesse en moi que je dois protéger.
Vous avez quitté le Cameroun pour la Suisse
Je me sentais bloqué dans mon pays. Je ne pouvais pas rester. Mon travail n'était pas suffisamment bien analysé. Si tu n'es pas dans un clan artistique au Cameroun, c'est cuit. Et ensuite j'ai été invité à Genève en 2016 dans le cadre d'une exposition aux Nations Unies sous l'égide de la mission d'Espagne sur la thématique de l'humain et de sa globalité. Ma vie en Suisse a été très difficile au début : j'étais bloqué aux Charmilles à Genève, je n'avais pas d'argent, je ne connaissais pas la ville sauf la gare, je mangeais mal. Ça a été très difficile, mais les choses ont changé et je suis maintenant financièrement indépendant et me sens chez moi à Genève. C'est l'endroit parfait pour observer le monde, et je me sens libre de travailler et de faire aboutir mon travail.
Votre projet futur
Mon objectif c'est d'arriver mon compléter mon œuvre monumentale.