USA-Maroc / peinture / Massoud Hayoun / LES MURS ET LES CENDRES | ZO Mag'

Roger Calmé, Zo Mag', September 5, 2023

Massoud Ayoun utilise un mot plein de sens quand il parle de la terre d’origine. Même s’il n’y est pas né, si ses jeux d’enfants ont eu lieu ailleurs, il parle d’
« (une) inscription qui se perpétue dans une sorte de Maroc de l’esprit. »

 Le déplacement, quel qu’en soit la nature, sous la menace des armes, de la propagande, dans l’urgence, est difficile à cicatriser. Sur les meubles, des images regardent la table des vivants. Des tissus sont accrochés, et la peinture vient, plus tard, en illustration à la question.

L’exposition que le peintre américain présente à Lausanne (Foreign Agent) illustre cette question de l’appartenance. Dans le cas de Massoud Ayoun, on peut de ses appartenances, en employant un riche pluriel. Le sentiment qui en résulte s’appelle « Ghorba » que l’on peut traduire par étrangeté et qui décrit ce sentiment de l’exil. Le départ du Maroc, à l’époque de son grand-père, débute la série des déplacements. Et cette migration n’est pas seulement physique, elle est identitaire et politique. Massoud Ayoun, qui est également journaliste, peint tout comme il écrit cette spoliation des lieux d’origine, en l’occurrence de ce Maghreb qui est avant toutes les colonisations et toutes les religions.

Ghorba ne concentre aucune colère, mais une puissante tristesse qui monte dans un chant déchiré, des visages autour des tables, des travaux saisonniers, des pietà figées dans des couleurs de craie. Immobilisée. La peinture n’est pas naïve et encore moins innocente, elle sait où et comment débute cette expropriation culturelle et le mensonge qui l’accompagne. La France a commis les siens. Le décret Crémieux (1870) qui différencie les Marocains israélites et musulmans est une pierre angulaire. Séparer est un procédé ancien. Peu importe les lieux et les dictatures, les pogroms ont tous les mêmes accents. Les mêmes murs se dressent et d’identiques brasiers s’allument. La peinture parle donc en filigrane de cette coupure qui est au quotidien la première blessure entre des communautés sœurs, juives et amazigh (Berbères d’Afrique du Nord, puis Arabes).

 

 " J’espère que vous vous réjouirez des imperfections de mon récit. Les réponses absolues sont les premiers signes d’un sinistre projet politique qui couve sous la surface.  "
 
Massoud Hayoun

 

« Ghorba » naît dans ce contexte comme d’une blessure qui ne se referme jamais. « Un certain nombre d’administrations impérialistes européennes nous ont chassés non seulement physiquement mais psychologiquement du monde arabe. Beaucoup d’entre nous ont appris, depuis des générations, à redouter l’arabité en nous et en les autres. Mais la dés-arabisation de ma famille n’est pas et ne pourrait jamais être complète. », disait-il dans une interview (*). La peinture est à ce point précise qu’elle figure l’intimité de ce drame, et qu’elle s’arrête aux instantanés de la mécanique. Selon un procédé inversement lumineux, elle figure les victimes dans l’immobilité, comme un répons à l’enthousiasme des pionniers, aux bâtisseurs des empires, à ceux qui possèdent. Politique ? Evidemment, parce que cette peinture garde ses yeux ouverts sur la réalité qui est celle de toute une terre ; de ceux qui l’ont habitée et nourrie, dont ils étaient les fils et dont on fait depuis si longtemps des ombres. Juifs ou Arabes, dans cette peinture, la différence n’existe plus.

« Il n’y a pas d’histoires d’origine concluante ou de réponses absolues. Pas à l’identité arabe, ni juive, ni à l’identité nord-africaine. Pas au mélange des trois que je revendique ici. J’espère que vous vous réjouirez des imperfections de mon récit. Les réponses absolues sont les premiers signes d’un sinistre projet politique qui couve sous la surface. », poursuit-il au moment de cet accrochage. Un accrochage ne dit-on pas, dans la bande de G. entre des soldats et des paysans, des enfants, entre des soldats, fils de paysans, entre des personnes nés de lieux qui respirent la même clarté. Accrochage.

« Le fait est qu’avant le départ de la famille de mon grand-père, nous étions Marocains depuis des temps immémoriaux. Si certains de vos lecteurs mettaient les voiles pendant quelques générations, ils ne cesseraient pas d’être Marocains -leur caractère marocain se perpétuerait dans une sorte de Maroc de l’esprit. » Massoud Hayoun

Ghorba, Massoud Hayoun, à partir du16 septembre, Foreign Agent, Lausanne (Suisse).
Roger Calmé (ZO mag’)
Image d’ouverture : “Size Does Matter” 2023, 91 x 60 cm, Acrylique sur toile.

A lire : https://harissa.com/news555/fr/entretien-avec-massoud-hayoun-auteur-de-quand-nous-etions-arabes
et le récit : https://lithub.com/massoud-hayoun-on-what-it-means-to-identify-as-both-jewish-and-arab/

Repères :
Massoud Hayoun est âgé de 35 ans et a grandi aux Etats-Unis.
Outre son travail de plasticien, il est également diplômé de journalisme et auteur de plusieurs ouvrages sur l’origine familiale et son appartenance à une culture maghrébine. Il a travaillé pour Al Jazeera English, Pacific Standard, Anthony Bourdain’s Parts Uknown online, The Atlantic, Agence France-Presse et South China Morning Post…

Site web : https://massoudhayoun.com/
Expositions personnelles :
2023 : « غربة – Ghorba », Foreign Agent, Lausanne, Suisse.
            « Présentation de Massoud Hayoun ».
Expositions collectives :
« Summer Group Spectacular » Duane Reed, St. Louis, USA.
             « Forty Five Houska Gallery, St. Louis.
Ouvrages édités:
When We Were Arabs, Massoud Hayoun, The New Press (2019)
La nuit dernière à Brighton, Darf Publishers (2022)